
Par Julie Legault
Depuis deux ans, j’ai le bonheur d’enseigner le yoga à CAMMAC (Canadian Amateur Musicians, Musiciens amateurs du Canada). Il s’agit d’un camp musical pour musicien.nes. amateurs situé à Harrington aux abords du magnifique lac Macdonald. Il existe depuis 1953 et est né de la volonté de deux frères musiciens, George et Carl Little aidés de leurs femmes Madeleine et France. Pour en savoir plus sur l’historique, consultez le site ici.
Durant sept semaines l’été, des activités musicales sont offertes avec thématiques : par exemple, la semaine 1 est dédiée à la musique vocale, chorale et aux harmonies (instruments à vents et percussions). On y propose également une semaine sur le jazz, la musique du monde et Broadway. Aussi, durant l’année, des activités sont offertes lors de la semaine de relâche à l’hiver, à la fin de semaine de l’Action de grâce à l’automne et la fin de semaine des Patriotes au printemps. Tous les ateliers sont soigneusement préparés et animés par d’excellent.e.s professionnel.le.s du milieu de la musique, en plus de d’autres disciplines comme la danse, les arts visuels et le… yoga. Il s’agit d’un véritable privilège de profiter de leur riches enseignements et expériences de vie.
Les activités offertes sont pour les enfants, les adolescents et les adultes. La musique unit les humains, petits et grands. CAMMAC est une belle et grande famille. En effet, nous passons nos journées à être ensemble, à partager les repas, les cours, la musique… J’y ai fait de magnifiques et inspirantes rencontres!
Les journées sont bien remplies et très bien organisées! Il est possible de suivre de nombreux cours de 50 minutes à tous les jours, en plus de temps de pratique. Aussi, il est situé sur un site enchanteur, sur le bord d’un lac. Vous profitez ainsi de la nature environnante en vous promenant dans le bois ou en faisant des activités nautiques.
Et le yoga dans tout cela?
J’offre deux cours de yoga dans la journée, à tous les jours : le matin à 7 h et l’après-midi à 17 h. Je me suis demandé quelles étaient les raisons d’y offrir des cours de yoga, à cet endroit. Guylaine Lemaire, Directrice musicale de CAMMAC, m’a précisé que ces cours sont importants pour CAMMAC car ils offrent des moments de retour à soi pour les participant.es, les professeurs et le personnel durant la semaine. Il y a en effet beaucoup de sollicitations « extérieures », donc ces cours permettent aux participant.e.s de se centrer, se concentrer et se détendre pour être davantage réceptif aux enseignements partagés. Aussi, un participant m’a raconté que les membres fondateurs faisaient eux-mêmes du yoga et reconnaissaient tous les bienfaits de cette pratique, souhaitant ainsi la faire connaître aux participant.e.s de CAMMAC.
J’ai fait beaucoup d’observations lors de mes expériences et j’ai fait plusieurs constats entre le yoga et la musique. D’abord, au niveau physique, j’ai noté la posture des musicien.ne.s et des chanteurs lors des concerts. Il y a beaucoup de répétitions dans les gestes et mouvements et les postures sont souvent difficiles pour le corps, selon les instruments. Par exemple, la posture pour tenir le violon demande à la tête d’être inclinée sur l’instrument et aux bras à maintenir l’instrument d’une façon déséquilibrée par rapport à la ligne médiane du corps, causant à long terme des maux dans le haut du dos et des bras. J’ai déjà essayé le violon et j’ai pu constater ces « effets » sur la posture. Chaque instrument à ses défis… et le corps EST l’instrument. Sans lui, pas de son possible, c’est l’évidence même!
Les repas sont pour moi des moments précieux durant la semaine car plusieurs participants professionnels et amateurs me parlent de leurs douleurs physiques en lien avec leur pratique. D’autres me partagent également leur niveau de stress lié à la performance et à leur statut social (surtout pour les professionnel.le.s). Réaliser de nombreuses auditions ne sachant pas le résultat est sûrement stressant. Ce sont aussi des gens, pour la plupart, à la pige, donc emplois incertains, causant inquiétudes. Ils me parlent aussi de leur formation professionnelle qui leur est bénéfique pour leur apprentissage théorique de la musique, mais il ne semble pas question du côté pratique de ce choix de carrière par la suite. Comment vivre de leur musique en tant qu’interprète? Quelle posture adopter en fonction de l’instrument, ou à tout le moins, d’exercices pour bien équilibrer le corps? Même de jeunes musicien.ne.s sentent déjà les effets des pratiques sur leur corps. Qu’en sera-t-il plus tard? J’ai réfléchi à la question et j’ai trouvé une thèse de Doctorat de Valérie Lamontagne réalisée en 2016 qui aborde le sujet des douleurs physiques et du stress chez les musicien.n.es d’orchestre.
« Informé par son expérience clinique sur le terrain, Dr. Lederman met de l’avant l’idée selon laquelle l’approche de la douleur chez les musiciens requiert une spécificité qui la distingue de l’approche de la douleur dans la population générale (2003). Cet auteur suggère que pour bien évaluer le patient musicien, un professionnel de la santé doit avoir une certaine connaissance des disciplines artistiques concernées et de leurs exigences physiques et mentales (2003). D’abord, les musiciens se distinguent par leur détermination et leur désir de performer selon des standards excessivement élevés, ce qui a un important impact sur leur douleur; contrairement à d’autres travailleurs qui choisissent de s’absenter le temps de leur épisode de douleur, les musiciens, mus par leurs objectifs de performance, ont tendance à continuer à pratiquer (Ledoux et al., 2008). Ensuite, le parcours musical est caractérisé par une rigueur atypique; l’apprentissage débute dès le plus jeune âge et la discipline est maintenue de façon soutenue tout au long de la carrière. Le système musculo-squelettique est particulièrement mis à l’épreuve et l’investissement psychologique, tout comme la présence d’importants stresseurs psychosociaux, est indéniable (Lederman, 2003). Ces réalités orientent les avenues de traitement; notamment, l’arrêt total de la pratique instrumentale est non recommandé, une attention particulière doit être accordée aux facteurs psychologiques et aux stresseurs, et les chirurgies ne devraient être envisagées qu’en dernier recours (Lederman, 2003).» P. 21-22. Pour l’étude complète, cliquez sur ce lien.
Recueillant tous ces précieux témoignages et partages, je leur propose donc dans mes cours des exercices en conséquence. Je fais aussi des liens avec ce que nous faisons dans la journée, avec les enseignements reçus. C’est très riche pour moi. Par exemple, dans l’atelier de techniques vocales, des exercices de respiration sont proposés alors j’approfondis le sujet dans mes cours. Aussi, avant les performances (à la fin de la semaine, les groupes réalisent un spectacle/concert des apprentissages reçus durant la semaine) et pour plusieurs d’entre eux, c’est un moment angoissant. Je vais donc proposer des exercices plus « calmant » en utilisant la respiration, le son, les étirements… selon l’inspiration. Ça vaut aussi pour moi, car je « performe » avec eux! Plusieurs viennent me voir après les cours (ou durant les repas!) afin de partager leur appréciation des exercices ou me poser des questions sur certaines postures. C’est très enrichissant comme échange et je sens que le yoga leur donne des prises de conscience physique et psychologique bénéfiques pour eux. Ce qui est beau également est que j’enseigne à des adolesent.e.s et des adultes de tous âges, débutants comme avancés dans la pratique. J’adapte les cours en fonction du groupe. Enfin, je profite des apprentissages partagés par les professeur.e.s et les participant.es sur la musique pour en découvrir davantage sur cet univers. Joie! Il y a donc de nombreux échanges de connaissances, c’est très enrichissant!
Enfin, ce qui fait la beauté de CAMMAC, c’est de pouvoir apprendre, découvrir, partager, s’entraider, s’améliorer et s’amuser! En plus, dans ce lieu enchanteur, tout s’y prête pour le faire : le personnel très accueillant, le site, la nature et surtout les rencontres. Et le liant de tout cela? La musique. « Le son musical a un accès direct à l’âme. Il y trouve un écho essentiellement immédiat car l’homme « a la musique en lui-même »[1].
Il est prévu que j’y sois lors de la semaine 1, du 28 juin au 5 juillet 2020. J’espère de tout cœur y retourner. Bienvenue à tous!
Pour tous les détails : cammac.ca
[1] Wassily KANDISKY, Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier, Folio Essais, Paris, 1954, p.113