C’est un privilège pour moi de rendre hommage à Louise aujourd’hui au nom de CAMMAC. Le camp musical situé au bord du lac MacDonald était sa deuxième maison et les membres de CAMMAC sont devenus sa deuxième famille. Elle y passait une grande partie de ses étés depuis 56 ans! Elle y était encore pendant cinq semaines à l’été 2015, profitant de ses cours préférés : la grande chorale du matin, les classes de maîtres en chant, écoute active, choeur a cappella, histoire et flûte à bec. Son amour pour le chant demeurait indéfectible.

Elizabeth Little, fille des fondateurs Georges et Madeleine Little, a été directrice artistique pendant 12 ans, et elle se souvient comment Louise avait marqué son enfance. Je partage ce souvenir d’Elizabeth avec vous : « Je me revois encore en train de lui dicter de la musique sur la galerie de l’ancien bâtiment au Centre Musical. Je devais avoir 10-12 ans, et cette activité m’avait permis de comprendre toute la complexité de la notation musicale.» Elizabeth ajoute : «Toujours discrète mais pas effacée, Louise a eu le courage de prendre la vie comme elle venait et elle a réussi, je pense, à la rendre intéressante et agréable. Souvent dépendante des autres à cause de sa cécité, elle a réussi à conserver son libre arbitre et à faire preuve d’une pensée originale. Enfin sa joie de vivre a été contagieuse, que ce soit lors d’une baignade au soleil en plein cœur de l’été, en faisant du chant choral ou en solo qu’elle aimait tant ou lors d’un concert qu’elle avait particulièrement apprécié.» Elizabeth se dit heureuse de l’avoir côtoyée toutes ces années, et particulièrement d’avoir pu lui présenter sa petite-fille l’été dernier.

Une autre membre de CAMMAC, Margaret Kamester, côtoyait Louise depuis 1975. Elle a partagé avec moi ses souvenirs de Louise : “Louise et moi ne parlions pas beaucoup, compte tenu de l’état de mon français et de son anglais, mais nous nous sommes toujours très bien entendues grâce à notre amour de la musique. Elle reconnaissait le son de ma voix. À la première répétition de chant choral de la semaine, elle se tournait vers moi en l’entendant. J’ai toujours été étonnée par façon de « lire » la musique et de produire la note juste en touchant le symbole de ses doigts. C’est ce qu’on appelle avoir l’oreille absolue. Je trouvais que la musique et sa voix avait fait des merveilles pour sa vie, compte tenu des obstacles qu’elle avait dû surmonter.”

Même si elle était discrète, Louise nous laissait percevoir, à l’occasion, son indéniable sens de l’humour. David Ellis, violoncelliste du Quatuor Alcan, m’a rappelé qu’un jour aux annonces du matin, le directeur de la semaine a brassé des clés d’auto oubliées dans un studio de pratique en demandant à qui appartenait les clés. Louise a lancé, «c’est à moi!» et un éclat de rire général a suivi dans la salle.

Quant à moi, j’ai connu Louise il y a une trentaine d’années dans le milieu choral, et j’ai été heureuse de la retrouver à CAMMAC au début des années 90, lorsque j’ai commencé à y enseigner. Elle reconnaissait non seulement ma voix, mais aussi le son de mes clés accrochées dans mon cou! Dans le monde choral, sa jolie voix de soprano se faisait entendre aux Choralies d’À Coeur Joie, aux Automnies de l’Alliance des chorales du Québec ainsi que dans ses chorales régulières. Elle a d’ailleurs chanté avec les plus grands chefs de choeur de sa génération : André Beaumier, Jean-François Sénart, Jean-Pierre Guindon et Louis Lavigueur, pour en nommer quelques uns. Elle a longtemps été choriste fidèle de l’Ensemble vocal Polymnie, dont des membres se joignent à la chorale aujourd’hui. Les grandes oeuvres de Bach, Handel, Mozart, Haydn, Verdi, Rossini, Poulenc, Fauré, et plus récemment Rutter et Jenkins, elle les a à peu près toutes chantées. Son oreille absolue, sa maîtrise du solfège et son amour pour la mélodie française lui ont permis, et jusqu’à l’été dernier, de vivre des moments musicaux privilégiés tout au long de sa vie.

Louise jouait aussi très bien de la flûte à bec et nous avons partagé de bons moments en travaillant cet instrument à CAMMAC les dernières années. Celle que la nouvelle génération de professeurs appellait avec affection «Madame Louise» étonnait toujours les professeurs et les participants à la vitesse avec laquelle elle apprenait les pièces à l’oreille et par coeur, car il n’y avait pas de partition en Braille pour la flûte à bec. On a même pu l’entendre dans une sonate complète de Telemann lors d’une soirée cabaret!

Louise ne voyait pas la lumière, mais elle était lumineuse pour les gens autour d’elle. Elle a inspiré plusieurs générations de professeurs et de membres de CAMMAC par sa détermination, son amour profond pour le chant et la musique, sa douceur et sa sérénité. Nous sommes nombreux à penser qu’elle occupe déjà une place de choix au choeur des anges. Qu’elle repose en paix.

 

Patricia Abbott
Directrice artistique, Centre musical CAMMAC

Photos prises par Marion Vosey